"J'ai vécu beaucoup de tragédies, mais moins de la moitié ont été réelles" Mark Twain
Jouer avec soi est une voie possible vers l'auto guérison de nos maux psychologiques. En effet, changer de regard sur soi, finir par rire et faire rire de ses travers est un chemin vers plus de flexibilité psychologique et pour sortir de cette lutte avec soi à l'origine de nombre de nos souffrances.
Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si j'avais un tel nez,
Il faudrait sur le champ que je me l'amputasse ! »
Amical : « mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « c'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule ! »
…
Cyrano de Bergerac a choisi de faire une tirade plutôt que de s'énerver ou de se cacher face à la raillerie et au jugement, mettant ainsi les rieurs de son coté.
Etre capable de rire de soi dans son discours intime ou avec d'autres montre que l'on a fait un chemin intérieur et que l'on a su prendre de la distance, se détachant ainsi de vains combats existentiels.
Mais attention, il ne s’agit pas là d'un comique moqueur, voire vengeur mais d'un sourire de tendresse. Le cynisme n'amène qu'au jugement, à une fausseté et un manque d'engagement dans la vie dont on devient toujours le perdant. Il ne s'agit pas non plus d'un rire de protection que certains utilisent pour « faire gondoler la galerie », distrayant leurs proches ou leurs collègues, prêts à tout leur pardonner, égocentrisme ou colère, simplement « parce qu’ils sont tellement drôles… ». Cette auto-dérision n’est pas non plus une auto-humiliation ou un accablement insistant. Non, pour être thérapeutique, cet humour là emprunte les chemins plus escarpés de l'authenticité, de l'humanisme et de la bienveillance.
Ce jeu avec soi n'enlève pas la souffrance de la vie, inhérente à celle-ci, mais il nous protège de la souffrance émotionnelle que l'on se rajoute en double peine aux aléas de la vie. Le jeu et l'acceptation de soi qu'offre l'humour a comme but de retrouver de la vitalité et de prendre de la hauteur pour ne pas s'agiter dans la vie tel une personne prise dans un sable mouvant.
La connaissance de soi
"Chacun de nous est une lune avec une face cachée que personne ne voit". Mark Twain
Pour pratiquer ce jeu, il est nécessaire tout d’abord d'avoir une excellente connaissance de soi et de ses travers. Celui qui rit de lui-même sait combien il est râleur, ou peureux, ou même arrogant…Quelles que soient ses failles, il ne les dénie pas mais au contraire il les accueille et les conscientise. Woody Allen a fait son fond de commerce de sa névrose. Par contre, certaines pathologies ne permettent pas forcément cette distanciation nécessaire pour permettre ce jeu. Certaines maladies psychiatriques sont "aliénantes". C'est-à-dire qu'elle nous emporte comme la dépression mélancolique et la psychose. Lorsque l'on souffre de telles pathologies, nous n'avons pas la lucidité nécessaire pour faire ce travail de distanciation.
Cette lucidité sur soi, Audrey Elie, infirmière de 34 ans, y est parvenue grâce à deux années de formation à l’école du Clown du Samovar. « Au départ, je ne cherchais là rien de thérapeutique, confie-t-elle. Mais apprenant à faire rire de mes faiblesses, j’ai du aller fouiller au fond de moi…et j’y ai trouvé bien des singularités refoulées ». Sa lenteur, sa tendance à être distraite, son côté « bien sérieuse », elle en a fait les traits comiques de son clown, Doris, son « moi version burlesque » sur scène. Et comme ses compagnons apprentis clown que l’on voit progresser dans le formidable documentaire « Tout va bien ! Le premier commandement di clown », Audrey a appris pendant de longs mois à « montrer tout ce que l’on cache d’habitude dans la vie de tous les jours » et en apprécier le potentiel. Le jeu en valait ce prix : savoir émouvoir les autres avec ses failles peut devenir trésor.
La vulnérabilité en partage
« Moi qui ais toujours eu beaucoup de tics, et qui ais passé mon adolescence à lutter contre eux, je me suis rendue compte que je touchais particulièrement le public lorsque je les accentuais, confie la comédienne. En exagérant un peu, ce qui me faisait souffrir est devenu un cadeau »
Pour atteindre cette transformation quasi- alchimique, et accepter ce que l’on rejetait de soi, rien de mieux que le partage permis par le rire. Il s'agit d'un raccourci émotionnel, comme le définissait Freud, à l'origine d'un formidable outil. Rire de soi avec un autre permet de toucher à la vulnérabilité de tous les humains. Le clown, et celui qui donne à voir sans barrière ses limites et fragilités, génère de la tendresse. C'est pour cela qu'on aime le clown et qu'on admire l'acrobate ».
On peut aussi favoriser ce jeu de soi (la flexibilité psychologique) en séance. Mais pour y parvenir, le thérapeute ne doit pas hésiter pas à montrer qu'il est lui aussi capable d'assumer ce qu'il est : « Cette chemise rouge criard que je porte ce matin, ou ma tignasse particulièrement décoiffée... Ce qui donne la gravité à une chose est le regard que l'on porte et non la réalité. On est libre de choisir un autre regard et d'assumer sa singularité et d'en jouer ». Ce jeu amène au détachement et à l'humour.
Un cadre rassurant est alors posé pour que l’humour déploie ses effets bienfaisants. En thérapie, j'invite mes patients à « faire l’hélicoptère », c’est-à-dire à prendre de la hauteur sur leurs objets de souffrance. « Je leur propose d’appeler par un prénom leurs personnages intérieurs symptomatiques, par exemple. Ainsi, je peux leur dire : « tiens, c’est le retour de Gérard l’obsessionnel aujourd’hui, ou Robert le plaintif » … Nous en rions ensemble et la séance peut avancer ».
Dans le film « Tout va bien ! », une longue scène, très émouvante, montre ainsi les apprentis clowns s’exercer à rentrer dans une pièce, chacun avec leur style, leurs spécificités. Ils doivent être capables de faire rire le public (les autres élèves et leur professeur). L’exercice demande beaucoup de courage, d’attention et d’humilité. C’est lorsqu’ils se « sont trouvés », enfin, chacun avec leurs spécificités, grosses fesses, gestuelle de girafe ou voix de nazillon, que la partie est gagnée.
Lâcher sur son ego
Avoir partagé sans voile ses failles est la porte ouverte vers l’acceptation. Comme le clown qui, en mettant son nez rouge, est prêt à passer à une autre dimension de lui-même. Il redevient l’enfant, le poète du moment présent, l’être authentique bien ancré dans son corps. Il quitte tous les « il faut que », la rigidité psychologique qui nous mine - celui qui est capable d’autodérision lâche sur son ego et son image et ainsi, sait qu’il n’y a rien à perdre…ni à gagner. C'est ainsi qu'on l’aime !
L’autodérision et l’acceptation profonde de soi qu’elle amène opèrent enfin un réel « déformatage ». Celui qui ose dire sa vérité peut laisser tomber certaines normes qui l’entravaient…Charlie Chaplin avec Charlot, ce merveilleux clown qu’il incarne, montre que l'on peut s’appuyer sur ses souffrances pour renaître plus libre. Ce jeu avec soi peut être une direction que vous pouvez explorez avec tendresse et mansuétude. Et si on a plus le nez sur le guidon, il est plus aisé de faire des choix tenant compte du contexte et de ce qui nous importe. "Jour sans rire, jour fichu" chantait Henri Tachan : rien n’est-il plus important qu’une bonne tranche de rire pour avancer dans la vie ?
Seznec JC et Ouvrié-Buffet E.: Pratiquer l'ACT par le clown. Ed DUNOD
Seznec JC et Carouana L.: Savoir se taire, savoir parler. Ed InterEditions